Dans un environnement financier de plus en plus complexe, les règles déontologiques qui encadrent les établissements de crédit se multiplient. Ces normes, souvent méconnues du grand public, constituent pourtant un rouage essentiel dans la protection des intérêts des clients. L'affaire LVMH contre Morgan Stanley en 2004 ou les scandales liés aux emprunts toxiques des collectivités locales illustrent les conséquences dramatiques que peuvent entraîner des manquements aux règles déontologiques.
La déontologie bancaire : une définition en évolution constante
La déontologie bancaire regroupe l'ensemble des règles de bonne conduite que doivent respecter les établissements de crédit dans leurs relations avec leurs clients. À l'origine simple autodiscipline de la profession, ces règles ont progressivement gagné en importance et en reconnaissance juridique.
Comme le souligne François Perier, la déontologie ne relève pas de la morale, mais établit plutôt "des règles du jeu, c'est-à-dire des règles de pratique professionnelle" (RD bancaire et bourse 1991, p. 58). Cette distinction est fondamentale : contrairement à la morale qui suppose des principes immuables, la déontologie bancaire se veut adaptative et évolutive.
Ces règles s'insèrent entre les obligations légales et les pratiques contractuelles. L'article L. 612-1, II, 3° du Code monétaire et financier précise d'ailleurs que l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) veille au respect des "bonnes pratiques de leur profession qu'elle constate ou recommande".
Le contrôle des règles déontologiques : un cadre juridique renforcé
Le législateur a mis en place un système sophistiqué pour encadrer ces règles déontologiques et leur donner une force contraignante.
L'homologation ministérielle
L'article L. 611-3-1 du Code monétaire et financier permet au ministre de l'Économie d'homologuer les codes de conduite élaborés par les organisations professionnelles. Cette procédure, instaurée par l'ordonnance n° 2008-1271 du 5 décembre 2008 puis étendue aux opérations de banque par la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010, confère une valeur contraignante aux règles ainsi homologuées.
La procédure est précise :
- Élaboration du code par l'association professionnelle
- Demande d'homologation auprès du ministre
- Avis du Comité consultatif de la législation et de la réglementation financières
- Homologation par arrêté ministériel
Le rôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution
L'ACPR exerce plusieurs compétences en matière de déontologie bancaire :
- Contrôle de la compatibilité des codes avec la législation
- Approbation des codes sur demande des associations professionnelles
- Constatation de l'existence de bonnes pratiques
- Formulation de recommandations définissant des règles de bonnes pratiques
- Vérification du respect des engagements pris
Sa mission est précisée à l'article L. 612-29-1 du Code monétaire et financier, introduit par la loi du 22 octobre 2010 et modifié par la loi du 26 juillet 2013.
La hiérarchie des normes déontologiques et leurs sanctions
La Fédération bancaire française (FBF) a établi une classification des règles déontologiques en trois niveaux, reflétant leur caractère plus ou moins contraignant :
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Les normes professionnelles ou déontologiques : règles ayant valeur de normes pour l'ensemble des établissements, relevant de l'arrêté du 3 novembre 2014 sur le contrôle interne.
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Les bonnes pratiques professionnelles : mises en œuvre jugées adéquates par la profession bancaire, sans être les seules possibles, transmises à l'ACPR.
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Les simples recommandations : ne relevant pas des deux catégories précédentes.
En cas de non-respect, plusieurs types de sanctions peuvent s'appliquer :
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Sanctions civiles : la violation d'une règle déontologique peut constituer une faute civile engageant la responsabilité de l'établissement (Cass. 1re civ., 18 mars 1997, n° 95-12.576).
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Sanctions disciplinaires : l'article L. 612-39 du Code monétaire et financier prévoit un arsenal de sanctions allant de l'avertissement au retrait d'agrément, en passant par des sanctions pécuniaires pouvant atteindre 100 millions d'euros.
Le cas de l'affaire LVMH contre Morgan Stanley est emblématique : le tribunal de commerce de Paris a condamné la banque à de lourds dommages-intérêts pour avoir diffusé des analyses financières biaisées par des conflits d'intérêts non révélés (Tribunal de commerce de Paris, 12 janvier 2004).
Les principales règles déontologiques dans la pratique
Pour les particuliers
Les règles déontologiques concernant les particuliers sont nombreuses et touchent à de multiples aspects de la relation bancaire :
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Information du public : présentation des plaquettes tarifaires selon un sommaire-type et un extrait standard des tarifs, approuvé par l'ACPR en 2013.
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Comptes de dépôt : charte d'accessibilité pour renforcer l'effectivité du droit au compte, normes sur le maintien des services bancaires en cas de surendettement.
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Moyens de paiement : offre spécifique pour les clients fragiles comprenant au moins deux chèques de banque par mois et des services adaptés, avec plafonnement des frais d'incidents bancaires.
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Crédits : engagements sur les crédits à taux variable, glossaire commun des termes utilisés.
La mise en place de ces normes a souvent fait suite à des échecs de l'autorégulation. Par exemple, malgré la Charte des services bancaires de base de 1992, le législateur a dû intervenir avec le décret n° 2001-45 du 17 janvier 2001 pour définir précisément le contenu du service bancaire de base.
Pour les entreprises et collectivités
Des règles spécifiques s'appliquent aussi aux relations avec les professionnels :
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Pour les commerçants : récapitulatif annuel des sommes perçues au titre du service d'encaissement des paiements par carte.
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Pour les TPE/PME : Code des relations Banque TPE/PME de 2006, Charte sur l'accès au crédit des entrepreneurs individuels à responsabilité limitée de 2011.
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Pour les collectivités locales : Charte de bonne conduite sur les emprunts structurés, complétée par diverses mesures législatives suite aux problèmes des "emprunts toxiques".
La gestion des conflits d'intérêts : un enjeu majeur
La prévention des conflits d'intérêts représente un volet essentiel de la déontologie bancaire. L'article L. 533-10 du Code monétaire et financier impose aux prestataires de services d'investissement de "maintenir et appliquer des dispositions organisationnelles et administratives efficaces, en vue de prendre toutes les mesures raisonnables destinées à empêcher que les conflits d'intérêts ne portent atteinte aux intérêts de leurs clients".
Dans le secteur bancaire, plusieurs situations typiques de conflits peuvent survenir :
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Conflits entre les intérêts de l'établissement et ceux du client : par exemple, lorsqu'un établissement se désengage du financement d'une entreprise suite à un changement de politique commerciale.
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Conflits entre les intérêts de deux clients : lorsqu'un établissement entretient des relations bancaires avec deux sociétés engagées dans une opération de fusion.
Les solutions développées incluent :
- L'information du client sur la situation de conflit
- L'organisation appropriée de la banque ("murailles de Chine")
- La mise en place d'un contrôle interne renforcé
La jurisprudence est sévère en cas de manquement : la cour d'appel de Paris a reproché à un établissement de crédit de ne pas avoir averti son client qu'elle lui vendait les titres d'une société dont il était créancier (CA Paris, 27 septembre 1996).
Les récentes directives européennes, notamment la directive MIF et le règlement sur les abus de marché, ont considérablement renforcé les obligations en la matière.
Pour les clients d'établissements bancaires, ces règles représentent une protection importante mais souvent méconnue. Un conseil juridique pertinent peut vous aider à identifier si vos droits ont été respectés. En matière de litige bancaire, la preuve d'un manquement aux règles déontologiques peut constituer un argument décisif, surtout lorsque vous contestez les pratiques d'un établissement à votre égard.
Notre cabinet accompagne régulièrement des clients dans l'analyse des documents contractuels bancaires et l'identification des manquements éventuels aux règles déontologiques. N'hésitez pas à nous contacter pour une analyse personnalisée de votre situation.
Sources
- Code monétaire et financier, articles L. 611-3-1, L. 612-1, L. 612-29-1, L. 612-39, L. 533-10
- Ordonnance n° 2008-1271 du 5 décembre 2008 relative à la mise en place de codes de conduite et de conventions régissant les rapports entre les producteurs et les distributeurs
- Loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière
- Arrêté du 3 novembre 2014 relatif au contrôle interne des entreprises du secteur de la banque
- Tribunal de commerce de Paris, 12 janvier 2004, LVMH c/ Morgan Stanley
- Cour d'appel de Paris, 27 septembre 1996
- Norme professionnelle FBF "Présentation des plaquettes tarifaires des banques suivant un sommaire-type et un extrait standard des tarifs", janvier 2019
- F. Perier, "Abrégé de déontologie des activités financières", RD bancaire et bourse 1991, p. 58
- J. Stoufflet, "Conflits d'intérêts dans l'activité bancaire", Estudios juridicos en memoria del professor Rodolfo Mezzema Alvarez, Ed. Fondacion de Cultura universatoria Montevideo, 1999