Cabinet Morenon Me contacter

Par téléphone :
06 98 38 74 82

Par mail :
M'ECRIRE

Localisation :
ME TROUVER

Réseaux sociaux :
LINKEDIN

La responsabilité du banquier : vigilance et mise en garde, les deux piliers protecteurs du client



Dans un monde bancaire toujours plus complexe, la question de la responsabilité du banquier se pose avec acuité. Les litiges liés aux prêts structurés, aux investissements hasardeux et aux montages financiers sophistiqués ont multiplié les contentieux ces dernières années. Entre obligation de vigilance et devoir de mise en garde, quelles sont les responsabilités des établissements bancaires envers leurs clients?

L'obligation de vigilance : une surveillance nécessaire mais limitée

L'obligation de vigilance constitue l'un des piliers fondamentaux de la responsabilité bancaire. Elle s'articule avec le principe de non-ingérence, créant un équilibre subtil dans la relation banque-client.

Conciliation avec le principe de non-ingérence

À première vue, ces deux notions semblent contradictoires. D'un côté, le banquier ne doit pas s'immiscer dans la gestion des affaires de ses clients – c'est le principe de non-ingérence. De l'autre, il est tenu à une certaine vigilance.

Comme le rappelle la Cour de cassation dans un arrêt du 11 mai 1999 (n° 96-16.088), "le banquier n'a pas à vérifier le bien-fondé ou l'opportunité des opérations réalisées par ses clients". Toutefois, cette limitation ne le dispense pas de certaines vérifications essentielles.

L'étendue de l'obligation de vigilance

Dans la pratique, l'obligation de vigilance se manifeste par plusieurs exigences concrètes :

  • La vérification des irrégularités formelles ou matérielles, comme pour des chèques falsifiés (Cour de cassation, chambre commerciale, 9 juillet 1996, n° 94-17.119)
  • L'examen de la provision suffisante sur le compte du client
  • La détection d'opérations anormales ou inhabituelles (Cour de cassation, chambre commerciale, 1er juillet 2003, n° 00-18.650)
  • La vérification que les fonds prêtés sont utilisés conformément à l'affectation convenue (Cour de cassation, chambre commerciale, 19 mai 1998, n° 95-19.098)

Cette vigilance n'est pas absolue mais proportionnée aux circonstances et à la nature des opérations.

L'obligation de mise en garde : protéger l'emprunteur et la caution

Le second pilier de la responsabilité bancaire est l'obligation de mise en garde, particulièrement importante dans certaines situations spécifiques.

Le domaine d'application

Cette obligation s'applique principalement dans trois situations :

  1. Envers l'emprunteur non averti : lorsque le prêt risque de générer un endettement excessif au regard de ses capacités financières (Cass., ch. mixte, 29 juin 2007, n° 05-21.104)

  2. Envers la caution non avertie : pour l'alerter sur le risque de non-remboursement et sur l'endettement créé par son propre engagement (Cass. com., 23 septembre 2014, n° 13-18.827)

  3. Lors de la commercialisation de produits financiers : particulièrement pour les produits spéculatifs présentant des risques que les clients non avertis ne sont pas en mesure d'apprécier (Cass. com., 7 juillet 2009, n° 08-18.194)

Il est important de noter que le simple manquement à ce devoir de mise en garde ne constitue pas un dol, comme l'a précisé la Cour de cassation (Com. 9 février 2016, n° 14-23.210).

La portée de l'obligation de mise en garde

Pour respecter cette obligation, le banquier doit :

  • Se renseigner sur les connaissances et compétences de ses clients
  • Adapter son intervention en fonction du profil du client
  • Avertir spécifiquement des risques liés à l'opération

Cette obligation va au-delà d'une simple information. Elle implique une démarche active d'alerte et d'explication.

En matière de prescription, la Cour de cassation a précisé que l'action en responsabilité pour manquement au devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du premier incident de paiement (Civ. 1re, 5 janvier 2022, n° 20-18.893).

Les montages financiers complexes : une responsabilité accrue

Les opérations bancaires complexes comme les prêts structurés ou les montages associant prêt et placement financier soulèvent des questions spécifiques de responsabilité.

Les prêts affectés à des placements

Lorsqu'un client emprunte pour réaliser un placement (assurance-vie, investissement immobilier, produits défiscalisés), le banquier doit observer une vigilance particulière, surtout si le montage est complexe.

Pour ces opérations, la jurisprudence tend à apprécier le caractère d'emprunteur "averti" de façon plus restrictive. Comme l'a souligné la Cour d'appel d'Aix-en-Provence (11 avril 2013, JurisData n° 2013-018455), le banquier doit alerter l'emprunteur sur l'aléa particulier de l'opération.

Le cas des prêts in fine adossés à une assurance-vie est particulièrement sensible, comme l'illustrent plusieurs décisions judiciaires où les banques ont été condamnées pour défaut d'information suffisante.

Les prêts structurés ou "toxiques"

Les prêts structurés, dont les intérêts sont calculés selon des formules mathématiques complexes (souvent indexés sur des devises étrangères), ont fait l'objet d'un contentieux abondant, notamment avec les collectivités locales.

La jurisprudence et le législateur ont progressivement encadré ces pratiques :

  • Le Tribunal de Grande Instance de Nanterre (8 février 2013) a sanctionné des banques pour absence de mention du TEG dans les documents contractuels
  • La loi n° 2014-844 du 29 juillet 2014 a validé rétroactivement certains prêts, tout en créant un fonds de soutien pour aider les emprunteurs
  • L'article L. 1611-3-1 du Code Général des Collectivités Territoriales, précisé par le décret n° 2014-984 du 28 août 2014, encadre désormais strictement les emprunts souscrits par les collectivités

Pour les particuliers, l'article L. 312-3-1 du Code de la consommation limite les prêts en devises étrangères aux personnes percevant des revenus ou détenant un patrimoine dans cette devise.

La particularité de l'indivisibilité des opérations

Un aspect crucial de la responsabilité bancaire concerne l'indivisibilité entre différentes opérations formant un montage financier.

Lorsqu'un prêt, un placement et éventuellement un nantissement forment un ensemble indivisible, les tribunaux tendent à apprécier l'opération dans sa globalité. Cette indivisibilité peut être objective (liée à la nature même des opérations) ou subjective (résultant de l'intention des parties).

Selon la Cour de cassation (Com., 5 novembre 2013, JurisData n° 2013-024832), l'indivisibilité se déduit de plusieurs éléments :

  • La concomitance des opérations
  • L'identité des parties
  • La commune intention des contractants

Les conséquences de cette indivisibilité sont importantes :

  • L'annulation d'un contrat peut entraîner celle des autres
  • Les obligations d'information et de mise en garde sont appréciées sur l'ensemble du montage
  • Le caractère "averti" de l'emprunteur est évalué au regard de la complexité globale de l'opération

Illustrations pratiques

L'actualité judiciaire fournit plusieurs exemples concrets de mise en œuvre de la responsabilité bancaire.

Pour un prêt en franc suisse destiné à un investissement immobilier, la Cour d'appel de Limoges (9 décembre 2014, n° RG 13/01205) a jugé que la banque devait vérifier que l'information donnée était "objective et suffisante pour alerter du risque pris".

Dans le cas d'un contrat d'assurance-vie adossé à un prêt in fine, plusieurs décisions ont sanctionné les banques pour défaut d'information sur les caractéristiques essentielles du produit et ses risques inhérents.

Pour les collectivités locales ayant souscrit des "emprunts toxiques", le TGI de Nanterre a sanctionné les banques pour défaut de mention du TEG, entraînant la substitution du taux légal au taux conventionnel - une décision aux conséquences financières considérables.

Quelles précautions pour les clients des banques ?

Dans ce contexte juridique exigeant mais parfois ambigu, quelques recommandations pratiques s'imposent :

  • Exiger systématiquement une information écrite et détaillée sur les caractéristiques et risques des produits proposés
  • Demander des simulations chiffrées, notamment dans les scénarios défavorables
  • Ne pas hésiter à solliciter un délai de réflexion pour les opérations complexes
  • Consulter un expert indépendant pour les montages sophistiqués
  • Conserver tous les documents précontractuels, qui pourront servir de preuve en cas de litige

Le recours à un avocat spécialisé en droit bancaire s'avère pertinent dès la phase de négociation pour les opérations à risque, et non uniquement en cas de contentieux.

Les établissements bancaires étant tenus à une obligation de preuve concernant l'exécution de leurs devoirs, toute carence dans la documentation contractuelle ou précontractuelle constitue un point d'appui solide en cas de litige.

Si vous estimez que votre banque a manqué à ses obligations de vigilance ou de mise en garde, une analyse approfondie de votre dossier par un professionnel du droit vous permettra d'évaluer les chances de succès d'une action en responsabilité. Ce conseil est d'autant plus précieux que chaque situation présente des particularités propres et que la jurisprudence continue d'évoluer en la matière.

Sources

  • Code civil, articles 1231 et suivants (anciens articles 1147 et suivants)
  • Code monétaire et financier, articles L. 112-1, L. 533-12, L. 533-13
  • Code général des collectivités territoriales, article L. 1611-3-1
  • Code de la consommation, articles L. 312-3-1, L. 313-1, L. 313-2
  • Cour de cassation, chambre commerciale, 21 juin 2023, n° 21-24.691
  • Cour de cassation, chambre commerciale, 1er juillet 2003, n° 00-18.650
  • Cour de cassation, chambre mixte, 29 juin 2007, n° 05-21.104
  • Cour de cassation, chambre commerciale, 23 septembre 2014, n° 13-18.827
  • Cour de cassation, 1re chambre civile, 5 janvier 2022, n° 20-18.893
  • Décret n° 2014-984 du 28 août 2014 relatif à l'encadrement des conditions d'emprunt des collectivités territoriales
  • Loi n° 2014-844 du 29 juillet 2014 relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés
Retour
Me contacter, me poser une question
Veuillez préciser votre demande
Ce champ est invalide
Ce champ est invalide
Ce champ est invalide
Ce champ est invalide
Ce champ est invalide