Perçue comme l'ombre discrète du référé, l'ordonnance sur requête constitue un outil procédural puissant. Cette procédure unilatérale permet d'obtenir rapidement des mesures provisoires sans informer votre adversaire.
Le cabinet voit régulièrement des clients surpris par l'efficacité de ce mécanisme, particulièrement utile en situations d'urgence ou quand l'effet de surprise s'avère déterminant.
Qu'est-ce qu'une ordonnance sur requête ?
L'article 493 du Code de procédure civile définit l'ordonnance sur requête comme une "décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse".
Cette procédure, née de la pratique judiciaire au XIXe siècle, a été formalisée par le décret n°71-740 du 9 septembre 1971, puis intégrée au nouveau Code de procédure civile en 1975.
Deux types d'ordonnances coexistent :
- Les ordonnances nommées : prévues par des textes spécifiques
- Les ordonnances innommées : justifiées par l'urgence et la nécessité d'agir sans contradictoire
Quand utiliser une ordonnance sur requête ?
Situations justifiant le non-contradictoire
Trois circonstances principales permettent de déroger au principe du contradictoire :
- L'absence d'adversaire Un agriculteur dont les récoltes ont été dévastées par des sangliers (res nullius) peut obtenir une expertise par ordonnance sur requête, faute d'adversaire identifiable (Civ. 2e, 25 nov. 1987, Bull. civ. II, n° 245).
- L'effet de surprise nécessaire Les constats d'adultère, les mesures probatoires en concurrence déloyale ou la conservation de preuves menacées de destruction sont des exemples typiques.
- L'effet de contrainte sur des personnes non identifiées La jurisprudence Ferodo (Soc. 17 mai 1977, D. 1977. 645) a consacré cette possibilité pour l'expulsion de grévistes non identifiés occupant illicitement leur lieu de travail.
Domaines d'application variés
L'ordonnance sur requête s'utilise dans de nombreux domaines :
- Droit des personnes et de la famille : mesures d'urgence lors d'un divorce
- Droit des sociétés : nomination de mandataires ad hoc
- Propriété intellectuelle : saisie-contrefaçon
- Procédures probatoires : constat avant tout procès
- Mesures conservatoires : saisies conservatoires
- Mesures d'exécution : expulsion de personnes non identifiées
Les caractéristiques essentielles
Caractère provisoire
L'ordonnance sur requête n'est pas dotée de l'autorité de chose jugée au principal, mais seulement au provisoire. Le juge peut donc revenir sur sa décision en cas de circonstances nouvelles.
Procédure non contradictoire
Elle se déroule à l'insu de l'adversaire, mais l'exécution doit respecter certaines garanties :
- Notification de l'ordonnance à l'adversaire avant exécution
- Remise d'une copie de la requête et de l'ordonnance
- Possibilité de contester par voie de référé-rétractation
Comment obtenir une ordonnance sur requête ?
Présentation de la requête
La requête doit être présentée par un avocat devant le tribunal de grande instance (article 813 CPC) ou par tout mandataire devant les juridictions d'exception.
Elle doit comporter :
- Un double exemplaire
- Les pièces justificatives
- La juridiction saisie si présentée à l'occasion d'une instance
- Une date et signature
- Une motivation des circonstances imposant le non-contradictoire (pour les ordonnances innommées)
Le non-respect de ces formalités entraîne l'irrecevabilité ou la nullité de la requête.
Compétence juridictionnelle
Le tribunal compétent varie selon la nature de l'ordonnance :
- Pour les ordonnances nommées : celui désigné par le texte
- Pour les ordonnances innommées : le président de la juridiction qui serait compétente pour connaître du litige ou celui du lieu d'exécution de la mesure
Les voies de recours
Pour le requérant débouté
Le requérant dont la requête a été rejetée dispose d'un délai de 15 jours pour interjeter appel (article 496 CPC).
Pour le tiers lésé : le référé-rétractation
Si l'ordonnance est accordée, le tiers lésé peut saisir le juge par voie de référé-rétractation. Cette procédure originale permet de soumettre la mesure à un débat contradictoire.
Caractéristiques du référé-rétractation :
- Aucun délai imposé
- Nécessité d'un intérêt à agir
- Procédure par assignation
- Compétence exclusive du juge ayant rendu l'ordonnance
Ce n'est pas, à proprement parler, une voie de recours selon la Cour de cassation, mais "s'inscrit dans le nécessaire respect par le juge du principe de la contradiction" (Civ. 1re, 13 juill. 2005, n° 05-10.519).
Conseils pratiques
Les avocats du cabinet recommandent de :
- Soigner particulièrement la motivation concernant la nécessité d'une procédure non contradictoire pour les ordonnances innommées.
- Indiquer précisément les pièces invoquées dans la requête, sous peine d'irrecevabilité (Civ. 2e, 11 févr. 2010, n° 08-21.469).
- Préparer minutieusement les argumentations en cas de référé-rétractation, car l'adversaire aura accès à tous les éléments de la requête.
- N'envisager cette procédure que dans les cas où l'effet de surprise ou l'absence d'adversaire est réellement justifié, au risque sinon de voir l'ordonnance rétractée.
Un exemple pratique rencontré récemment au cabinet : un chef d'entreprise soupçonnant un ancien salarié de concurrence déloyale a obtenu une ordonnance sur requête autorisant un huissier à accéder aux données de l'ordinateur professionnel du salarié. La preuve ainsi obtenue a permis d'établir l'existence d'actes de concurrence déloyale (Soc. 23 mai 2007, n° 05-17.818).
N'hésitez pas à contacter notre cabinet pour évaluer si l'ordonnance sur requête constitue la stratégie adaptée à votre situation. Cette procédure technique nécessite une expertise pointue tant dans sa préparation que dans sa mise en œuvre.
Sources
- Code de procédure civile, articles 493 à 498 (dispositions communes), 812-813 (TGI), 851-852 (Tribunal d'instance)
- Soc. 17 mai 1977, D. 1977. 645, "Arrêt Ferodo"
- Civ. 2e, 18 nov. 1992, n° 91-16.447, Bull. civ. II, n° 266
- Civ. 2e, 11 févr. 2010, n° 08-21.469, Bull. civ. II, n° 34
- Civ. 1re, 13 juill. 2005, n° 05-10.519, Bull. civ. I, n° 334
- Soc. 23 mai 2007, n° 05-17.818, Bull. civ. V, n° 84
- PIERRE-MAURICE S., "Ordonnance sur requête et matière gracieuse", Nouvelle bibliothèque des thèses, Dalloz, 2003
- FOULON M. et STRICKLER Y., "Le référé-rétractation", D. 2010. Chron. 456