Dans l'arsenal des actes juridiques, la sommation occupe une place singulière. Ni jugement ni simple courrier, cet acte d'huissier représente souvent la première étape formelle d'un conflit juridique. Pourtant, ses atouts restent méconnus des justiciables comme de certains professionnels.
Qu'est-ce qu'une sommation ?
La sommation est un acte extrajudiciaire signifié par huissier de justice. Elle permet d'intimer un ordre ou une défense à son destinataire. Comme le définit le doyen Cornu dans son Vocabulaire juridique, il s'agit d'une "invitation comminatoire" - comprendre un avertissement formel avec menace de conséquences juridiques en cas de non-respect.
Contrairement aux idées reçues, la sommation n'est pas un titre exécutoire. Elle ne permet pas de contraindre directement le destinataire, mais constitue une étape préalable importante dans de nombreuses procédures.
Les trois grandes catégories de sommations
1. La sommation aux fins d'exécution
C'est la plus fréquente. Elle vise l'exécution d'une obligation par son destinataire :
- Sommation de payer
- Sommation de faire
- Sommation de restituer
- Sommation de s'abstenir
Cette sommation peut également être adressée au créancier pour l'inviter à accepter un paiement (article 1345 du Code civil).
2. La sommation aux fins probatoires (ou interpellative)
Moins connue mais tout aussi utile, elle vise à obtenir une preuve utilisable en justice. L'huissier interroge le destinataire et consigne ses réponses dans un procès-verbal qui pourra être produit lors d'un procès.
Elle peut être adressée à la future partie adverse (recherche d'un aveu) ou à un tiers (recueil d'un témoignage).
3. La sommation aux fins de jugement
Rarissime en pratique, elle permet à une partie d'enjoindre au juge saisi de se prononcer sur une affaire, sous peine de prise à partie fondée sur le déni de justice (article 366-9 du Code de procédure civile).
Avantages et efficacité de la sommation
Force probante supérieure
Bien que plus coûteuse qu'une lettre recommandée, la sommation offre des avantages déterminants :
- Sa date fait foi jusqu'à inscription de faux (procédure lourde et rare)
- Sa signification est prouvée sans contestation possible
- Son contenu est incontestable
Effet psychologique
L'intervention d'un huissier de justice produit souvent un effet dissuasif plus important qu'une simple lettre, même recommandée. Cet "effet toge" peut suffire à obtenir l'exécution volontaire d'une obligation.
Effets juridiques majeurs
Selon le type de sommation :
- Pour les sommations d'exécution : fait courir les intérêts moratoires (article 1231-6 du Code civil), transfère les risques de la chose au débiteur (article 1344-2)
- Pour les sommations probatoires : constitue un aveu extrajudiciaire ou un témoignage de poids
- Pour les sommations de juger : rend recevable la procédure de prise à partie
Comment rédiger et signifier une sommation ?
Mentions obligatoires
Toute sommation doit comporter à peine de nullité (article 648 du Code de procédure civile) :
- La date
- Les mentions relatives au requérant
- Les nom, prénoms, demeure et signature de l'huissier
- Les nom et domicile du destinataire
Signification
La sommation est signifiée selon les règles des articles 653 et suivants du Code de procédure civile. Le principe est la signification à personne, mais d'autres modes sont prévus en cas d'impossibilité (à domicile, à résidence...).
Pour la sommation interpellative, seule la signification à personne est possible, puisqu'elle vise à recueillir les déclarations du destinataire.
Coût
Le coût des sommations aux fins d'exécution est encadré par l'article A444-10 du Code de commerce. Pour les autres types, le tarif est libre.
En principe, le coût est supporté par le requérant, sauf exceptions (article L. 111-8 du Code des procédures civiles d'exécution).
Applications pratiques pour les justiciables
Pour les créanciers impayés
La sommation de payer constitue une mise en demeure officielle qui fait courir les intérêts au taux légal. Elle peut précéder une procédure d'injonction de payer ou une assignation.
L'article 1344 du Code civil précise que "le débiteur est mis en demeure de payer soit par une sommation ou un acte portant interpellation suffisante".
Pour les transactions immobilières
En cas de promesse de vente où l'acquéreur reste silencieux, une sommation interpellative permet de constater officiellement son refus de lever l'option.
Pour les héritiers indécis
L'article 771 du Code civil prévoit qu'après quatre mois, l'héritier peut être sommé de prendre parti. S'il reste silencieux pendant deux mois après la sommation, il est réputé accepter la succession à concurrence de l'actif net.
Pour les litiges complexes
La sommation interpellative peut documenter des faits contestés ou recueillir des témoignages en amont d'une procédure judiciaire.
Quand privilégier la sommation plutôt qu'une autre démarche ?
La sommation s'avère particulièrement pertinente dans ces situations :
- Lorsqu'une date certaine de mise en demeure est nécessaire
- Quand l'enjeu financier justifie son coût
- Si le destinataire est de mauvaise foi ou feignant d'ignorer la situation
- Pour les obligations contractuelles où la mise en demeure est un préalable obligatoire
La sommation permet souvent d'éviter un procès en débloquant une situation. Elle constitue aussi une preuve solide de la diligence du créancier.
Limites et précautions
La sommation n'est pas une solution miracle :
- Elle n'interrompt pas la prescription (article 1345 du Code civil)
- Son coût peut être dissuasif pour de petites créances
- Elle ne remplace pas un titre exécutoire
- Une rédaction maladroite peut lui faire perdre son efficacité
Notre cabinet peut vous conseiller sur l'opportunité d'une sommation et sa rédaction optimale. Nous analysons chaque situation pour déterminer la stratégie la plus efficace. N'attendez pas que votre situation se complique pour solliciter conseil.
Sources
- Code civil, articles 1344, 1344-2, 1345, 771, 800
- Code de procédure civile, articles 366-9, 648, 653 à 662-1
- Code des procédures civiles d'exécution, article L. 111-8
- Code de commerce, article A444-10
- G. CORNU, Vocabulaire juridique, 13e éd., 2020, PUF
- Arrêté du 28 février 2020 fixant les tarifs réglementés des huissiers de justice
- R. LAHER, La sommation de juger, Revue pratique de recouvrement, juin 2020