L'indivision est souvent source de tensions et de blocages. Succession non réglée, séparation conflictuelle, projet immobilier qui tourne mal... Nombreuses sont les situations où des personnes se retrouvent propriétaires ensemble d'un bien sans pouvoir s'entendre sur sa gestion ou son partage. La licitation peut alors constituer l'ultime recours pour sortir de cette situation. Cette procédure judiciaire permet la vente aux enchères du bien indivis lorsque le partage en nature s'avère impossible.
Qu'est-ce que la licitation-partage ?
La licitation est une procédure qui permet la vente d'un bien indivis, soit de façon amiable, soit de façon judiciaire. Dans le cas d'une licitation judiciaire, elle s'appuie sur deux textes fondamentaux :
L'article 1686 du Code civil indique : "Si une chose commune à plusieurs ne peut être partagée commodément et sans perte ; ou si, dans un partage fait de gré à gré de biens communs, il s'en trouve quelques-uns qu'aucun des copartageants ne puisse ou ne veuille prendre, la vente s'en fait aux enchères, et le prix en est partagé entre les copropriétaires."
L'article 1377 du même code précise que "Le tribunal ordonne, dans les conditions qu'il détermine, la vente par adjudication des biens qui ne peuvent être facilement partagés ou attribués."
La règle est donc le partage en nature, la licitation judiciaire étant l'exception. Mais si le partage en nature s'avère impossible, le tribunal est tenu d'ordonner la licitation.
Cette procédure découle d'un principe fondamental : nul ne peut être contraint de rester dans l'indivision. L'article 815 du Code civil affirme en effet : "Nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu'il n'y ait été sursis par jugement ou convention." Le Conseil constitutionnel a même reconnu à ce principe une valeur constitutionnelle dans sa décision du 9 novembre 1999.
Qui peut demander une licitation ?
Les indivisaires
Tout indivisaire peut demander la licitation d'un bien indivis en vertu de l'article 815 du Code civil. L'indivision peut résulter d'un choix lors de l'achat du bien, d'un divorce, d'une succession ou de la liquidation d'une société civile immobilière.
Attention toutefois, certaines situations ne constituent pas une indivision :
- Il n'y a pas d'indivision entre légataire universel et héritier réservataire
- Dans le cas d'une clause d'accroissement au dernier vivant
- Pour les époux communs en biens (tant que la communauté n'a pas pris fin)
Par ailleurs, lorsqu'il y a concurrence de droits en nue-propriété et usufruit, la licitation judiciaire de la pleine propriété n'est possible qu'avec l'accord de l'usufruitier. L'article 815-5 du Code civil dispose expressément que "Le juge ne peut, à la demande d'un nu-propriétaire, ordonner la vente de la pleine propriété d'un bien grevé d'usufruit contre la volonté de l'usufruitier."
Les créanciers d'un indivisaire
Un créancier peut agir en licitation au nom de son débiteur indivisaire par le biais de l'action oblique. Cette possibilité est prévue par l'article 815-17 du Code civil : "Les créanciers personnels d'un indivisaire [...] ont la faculté de provoquer le partage au nom de leur débiteur ou d'intervenir dans le partage provoqué par lui."
Le créancier doit idéalement disposer d'un titre exécutoire contre l'indivisaire débiteur et assigner l'ensemble des indivisaires. Point capital : les coindivisaires peuvent arrêter la demande en payant ce qui est dû au nom du débiteur. Il est donc primordial d'indiquer précisément le montant de la créance dans l'assignation.
Le liquidateur ou le représentant d'un indivisaire
Le liquidateur judiciaire d'un indivisaire peut agir en licitation, soit sur le fondement de l'article 815 du Code civil, soit sur celui de l'article 815-17. En effet, l'indivisaire est dessaisi de l'administration et de la disposition de ses droits au profit du liquidateur (article L 641-9 du Code de commerce).
Exceptions notables : le liquidateur ne peut pas demander la licitation si le bien est la résidence principale du liquidé (depuis la Loi Macron du 6 août 2015) ou s'il s'agit du logement de la famille (article 215 al. 3 du Code civil).
La procédure judiciaire de licitation
La saisine du tribunal compétent
Deux juridictions peuvent être compétentes :
- Le Juge aux Affaires Familiales (JAF) : il connaît des demandes relatives aux indivisions entre personnes liées par un PACS ou entre concubins, ainsi que des régimes matrimoniaux (article L213-3 du Code de l'organisation judiciaire).
- Le Tribunal Judiciaire (TJ) : il est compétent en matière de succession (articles 841 du Code civil et R211-3-26 du Code de l'organisation judiciaire).
La compétence territoriale du JAF est déterminée par l'article 1070 du Code de procédure civile (lieu de résidence de la famille ou, si les parents vivent séparément, lieu de résidence du parent avec lequel résident habituellement les enfants).
Pour le TJ, c'est le tribunal du lieu d'ouverture de la succession qui est exclusivement compétent.
Le contenu de l'assignation
L'assignation en partage doit contenir, à peine d'irrecevabilité (article 1360 du Code de procédure civile) :
- Un descriptif sommaire du patrimoine à partager
- Les intentions du demandeur quant à la répartition des biens
- Les diligences entreprises en vue de parvenir à un partage amiable
En pratique, l'assignation demande le partage et, préalablement, la licitation du bien indivis. Elle doit identifier complètement le bien et ses propriétaires. L'assignation sollicite généralement :
- La désignation d'un notaire pour les opérations de partage
- L'ordonnance de vente sur licitation aux enchères publiques
- La fixation d'une mise à prix
- Les modalités de publicité
La publication au service de la publicité foncière
Bien que non obligatoire, la publication du jugement ordonnant la licitation au service de la publicité foncière est vivement recommandée. Elle permet d'informer les tiers de la procédure en cours et peut faire obstacle à une procédure concurrente comme la saisie immobilière.
Cette publication nécessite de mentionner dans le jugement toutes les informations relatives à l'identification des parties (articles 5 et 6 du décret du 4 janvier 1955) et des immeubles (article 7 du même décret).
Les moyens de s'opposer à une licitation
La demande de sursis au partage
Le droit de sortir de l'indivision peut être temporairement différé en demandant au tribunal de surseoir au partage (articles 820 à 824 du Code civil). Ce sursis peut être accordé :
- Pour permettre à un indivisaire de reprendre l'activité commerciale ou agricole du défunt (sursis limité à 2 ans)
- Pour préserver la valeur du bien (sursis limité à 2 ans)
- Pour le maintien du domicile conjugal ou familial (sursis limité à 5 ans, renouvelable jusqu'à la majorité du plus jeune descendant)
La protection du logement familial
Si la demande de licitation est poursuivie par le liquidateur d'un époux sur le logement de la famille, l'autre époux coindivisaire peut s'y opposer en invoquant l'article 215 alinéa 3 du Code civil (protection du logement familial).
Attention : cette protection n'est pas applicable lorsque la demande de licitation est fondée sur l'article 815-17 du Code civil (action oblique du créancier).
Autres moyens de défense
D'autres demandes peuvent être formulées pour s'opposer à la licitation ou en modifier les conditions :
- Demande d'indemnité d'occupation
- Demande de rémunération pour la gestion des biens indivis (article 815-12)
- Demande d'indemnisation pour amélioration des biens indivis (article 815-13)
- Opposition à la clause de substitution
- Demande d'expertise du bien
Le déroulement de la vente aux enchères
La préparation de la vente
La préparation de la vente comporte plusieurs étapes :
- La rédaction et le dépôt du cahier des charges qui doit indiquer le jugement ordonnant la vente, désigner les biens à vendre et mentionner la mise à prix et les conditions de la vente.
- L'établissement d'un procès-verbal descriptif du bien
- L'affichage légal (publication d'avis dans les journaux et apposition d'affiche sur l'immeuble)
- Les sommations aux indivisaires et créanciers inscrits
- L'information des tiers (locataires, preneurs à bail rural, SAFER, collectivités publiques)
- La taxation des frais de poursuite
L'audience d'adjudication
L'article 1272 du Code de procédure civile précise que la vente a lieu à l'audience des criées. Le demandeur doit requérir la vente, puis le juge rappelle la mise à prix et les enchères commencent.
Les enchères doivent être pures et simples et chacune doit couvrir la précédente. Elles sont arrêtées lorsque 90 secondes se sont écoulées depuis la dernière enchère.
En cas de carence d'enchères, si le jugement prévoit une faculté de baisse (courante en pratique), la mise à prix est réduite et les enchères reprennent immédiatement.
À l'issue des enchères, l'avocat du dernier enchérisseur déclare au greffier l'identité de son mandant et remet une attestation de non-condamnation pénale.
La surenchère
Dans les dix jours suivant l'adjudication, toute personne peut faire une surenchère du dixième au moins du prix principal de la vente (article 1279 du Code de procédure civile).
La déclaration de surenchère est déposée au greffe des adjudications par acte d'avocat et vaut fixation d'une audience de surenchère. Elle doit être dénoncée au débiteur, au créancier poursuivant et à l'adjudicataire dans les 3 jours ouvrables.
Une nouvelle audience d'enchères est alors organisée, mais aucune nouvelle surenchère ne pourra être reçue après cette seconde adjudication.
Les conséquences pratiques de la licitation
Les effets pour l'adjudicataire
L'adjudicataire devient propriétaire par le seul effet de la vente, sans attendre le paiement du prix. Cela entraîne plusieurs obligations :
- Assurer immédiatement l'immeuble
- Payer le prix de vente dans un délai de 2 mois
- S'acquitter des frais taxés et des émoluments
- Payer les droits de mutation
- Faire publier le titre de vente au fichier immobilier
L'adjudicataire ne peut pas, avant le versement du prix, accomplir d'actes de disposition sur le bien à l'exception de la constitution d'une hypothèque destinée à financer son acquisition.
Une particularité importante : l'article 27 des dispositions générales du cahier des charges prévoit que "chaque indivisaire peut se substituer à l'acquéreur dans un délai d'un mois à compter de l'adjudication". Cette faculté de substitution permet à un indivisaire de préempter le bien adjugé à un tiers.
En cas de défaillance de l'adjudicataire
Si l'adjudicataire ne paie pas le prix, les frais taxés ou les droits de mutation dans les délais impartis, la vente est résolue de plein droit. Le bien est alors remis en vente par la procédure de réitération des enchères.
L'adjudicataire défaillant s'expose à diverses sanctions :
- Payer la différence entre son enchère et le prix de la revente si celui-ci est moindre
- Assumer les frais de la première audience de vente
- Payer des intérêts au taux légal
La demande de réitération des enchères nécessite l'obtention d'un certificat de non-paiement délivré par le greffe, qui doit être signifié à l'adjudicataire défaillant avec sommation de payer sous 8 jours.
À noter que l'adjudicataire défaillant ne peut pas prétendre à la restitution des sommes déjà versées, comme par exemple la caution de 10% généralement demandée.
La procédure de licitation-partage, bien que complexe, offre une solution efficace pour sortir d'une indivision conflictuelle. Elle permet de vendre le bien aux enchères et de partager le prix entre les indivisaires.
Les conséquences pour les indivisaires
Une fois la vente réalisée, le prix d'adjudication est consigné entre les mains du Bâtonnier ou de la Caisse des dépôts et consignations. Ce prix sera ensuite réparti entre les indivisaires au prorata de leurs droits, après paiement des créanciers éventuels.
Pour l'indivisaire occupant le bien, l'adjudication ne constitue pas un titre d'expulsion. Contrairement à la saisie immobilière où le jugement d'adjudication vaut titre d'expulsion à l'encontre du saisi (article L. 322-13 du Code des procédures civiles d'exécution), la Cour d'appel de Paris a jugé que "le jugement d'adjudication sur licitation ne constitue un titre d'expulsion ni à l'égard du débiteur saisi, ni à l'égard de l'occupant de son chef" (CA Paris, 13 décembre 2019, n° 19/04056).
Particularités concernant les hypothèques
La vente sur licitation n'emporte pas purge automatique des inscriptions hypothécaires. L'article 23 des dispositions générales du cahier des charges en matière de licitation précise : "La vente sur licitation n'emporte pas purge de plein droit des inscriptions hypothécaires grevant l'immeuble."
L'adjudicataire devra mettre en œuvre la procédure de purge décrite aux articles 2475 et suivants du Code civil. Il devra notifier aux créanciers inscrits un extrait de son titre, un extrait de la publication et un état hypothécaire. Si les créanciers n'exigent pas la mise aux enchères du bien dans les délais légaux, l'adjudicataire pourra demander la radiation des inscriptions hypothécaires.
Conseils pratiques
La licitation judiciaire exige une préparation minutieuse. Pour maximiser les chances de succès, quelques recommandations s'imposent :
- Vérifier l'identification exacte de tous les propriétaires (titre de propriété, acte de notoriété, actes de naissance)
- Commander une fiche d'immeuble pour vérifier les inscriptions hypothécaires et les servitudes
- Établir la valeur du bien par une expertise ou des estimations d'agences immobilières
- Soigner la rédaction de l'assignation en justifiant l'impossibilité d'un partage en nature
- Proposer une mise à prix cohérente avec la valeur du marché
- Prévoir une faculté de baisse en cas de carence d'enchères
En tant qu'indivisaire, il est judicieux d'anticiper les conséquences d'une licitation. Si vous souhaitez acquérir le bien, préparez votre financement avant l'audience. Si vous l'occupez, envisagez des solutions de relogement.
Pour les créanciers, la licitation permet de débloquer une situation d'indivision qui empêchait la réalisation d'un actif. Mais elle nécessite d'inclure dans l'assignation le montant précis de la créance pour permettre aux coindivisaires d'exercer leur droit d'arrêter la procédure en payant la dette.
La procédure de licitation-partage requiert l'intervention d'un avocat. Sa complexité technique, les multiples délais à respecter et les formalités spécifiques justifient un accompagnement juridique adapté. Notre cabinet peut vous guider dans chaque étape de cette procédure et vous aider à défendre vos intérêts, que vous soyez indivisaire souhaitant sortir de l'indivision, créancier cherchant à recouvrer une créance, ou liquidateur judiciaire devant réaliser un actif.
Nous vous invitons à nous contacter pour analyser votre situation particulière et déterminer ensemble la stratégie la plus adaptée.
Sources
- Code civil : articles 815, 815-5, 815-9, 815-12, 815-13, 815-17, 821, 821-1, 822, 823, 841, 1377, 1686
- Code de procédure civile : articles 1070, 1271 à 1281, 1360, 1377, 1378
- Code de l'organisation judiciaire : articles L213-3, R211-3-26
- Code des procédures civiles d'exécution : articles L322-13, R322-31 à R322-72
- Décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière : articles 5, 6, 7, 28, 30, 32, 34
- Conseil constitutionnel : décision du 9 novembre 1999, n°99-419
- Cour d'appel de Paris : arrêt du 13 décembre 2019, n° 19/04056
- Cour de cassation, 1ère chambre civile : arrêt du 3 avril 2019, n° 18-15177 (protection du logement familial)
- Cour de cassation, 1ère chambre civile : arrêt du 8 juin 2016, n° 15-19.614 (prescription de l'indemnité d'occupation)