Dans un contexte de taux d'intérêt historiquement bas, nombreux sont les investisseurs qui se tournent vers des montages bancaires plus complexes pour tenter d'optimiser leurs rendements. Assurances-vie adossées à des prêts, investissements immobiliers défiscalisés ou prêts indexés sur des monnaies étrangères - ces produits, souvent présentés comme des opportunités, peuvent se transformer en véritables pièges. Les jurisprudences récentes montrent que les banques engagent parfois leur responsabilité. Voici ce qu'il faut savoir.
I. Les montages financiers à risque
A. Les prêts affectés à un placement en assurance-vie
Le montage classique consiste à associer un prêt in fine et un produit financier, souvent une assurance-vie. Le contrat est généralement nanti au profit de la banque, et dans l'esprit des souscripteurs, la valorisation du contrat à l'échéance doit permettre de rembourser le prêt.
Ce type de montage présente un risque majeur: si les performances du placement sont inférieures aux prévisions, l'emprunteur se retrouve dans l'impossibilité de rembourser le capital emprunté à l'échéance. La crise financière a rendu ces prévisions souvent illusoires.
Comme le souligne l'arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2011 (n° 10-17.830), la banque peut voir sa responsabilité engagée, notamment lorsqu'elle a pris l'initiative du placement ou a été investie d'une mission de conseil.
B. Les prêts affectés à un investissement immobilier
Les financements immobiliers dans le cadre d'opérations de défiscalisation (type loi Robien) présentent des risques spécifiques. La promesse est alléchante: les revenus locatifs doivent permettre de rembourser le crédit tout en offrant un avantage fiscal.
La jurisprudence montre que la banque peut être tenue responsable si elle n'a pas alerté l'emprunteur non familier de ce type d'opérations des risques spécifiques. Un arrêt de la Cour d'appel de Lyon du 9 juillet 2014 (JurisData n° 2014-016586) a retenu la responsabilité d'une banque qui n'avait pas suffisamment mis en garde l'emprunteur sur les aléas de l'opération.
C. Les prêts structurés et "toxiques"
Les prêts structurés désignent des contrats dont les intérêts sont déterminés par des formules mathématiques complexes. Souvent indexés sur des monnaies étrangères comme le franc suisse, ces prêts ont été massivement vendus aux collectivités locales.
Ces "prêts toxiques" ont conduit à un contentieux considérable lorsque les taux d'intérêt ont explosé. Les trois principales catégories sont:
- Les produits à barrière désactivante
- Les produits de pente
- Les produits à barrière de change
Selon les estimations citées dans le document, ces prêts représentaient un encours total d'environ 10 milliards d'euros, principalement portés par Dexia et la Société de Financement Local (SFIL).
II. Les fondements de la responsabilité bancaire
A. Les devoirs liés à la distribution d'une assurance
La banque qui commercialise une assurance-vie est soumise à des obligations précises définies par le Code des assurances. L'article L. 132-27 impose que toutes les informations relatives au contrat présentent "un contenu exact, clair et non trompeur."
L'article L. 132-27-1 va plus loin en exigeant que l'assureur précise "les exigences et les besoins exprimés par le souscripteur" et "les raisons qui motivent le conseil fourni." La jurisprudence est claire: l'assureur ou l'intermédiaire doit fournir tous les éléments d'information permettant d'identifier les risques inhérents aux placements choisis.
En cas de non-respect, la Cour d'appel de Nancy (20 juin 2013, JurisData n° 2013-022417) a sanctionné un établissement qui n'avait pas correctement informé son client des risques liés à son placement.
B. Les devoirs liés au service d'investissement
Lorsque le prêt est affecté à un investissement dans un produit financier, l'investisseur déçu peut rechercher la responsabilité de la banque en tant que Prestataire de Services d'Investissement (PSI).
Le PSI est débiteur d'une obligation générale d'information sur les caractéristiques essentielles du produit. Cette obligation a été clairement définie par la Cour de cassation dans l'arrêt "Bénéfic" du 19 septembre 2006. L'information doit être complète, exacte et non trompeuse.
Plus encore, un devoir de mise en garde s'impose envers un emprunteur non averti dès lors que le produit proposé a un caractère spéculatif (Cass. 2e civ., 27 mars 2014, n° 13-16.672).
Le Code monétaire et financier, dans ses articles L. 533-12 et L. 533-13, impose des obligations strictes à ceux qui commercialisent des produits financiers. Depuis une décision du 24 juin 2008, il est acquis que les emprunteurs peuvent se prévaloir de ces dispositions pour engager la responsabilité des établissements.
C. Le devoir de mise en garde lié au contrat de prêt
Même en l'absence de services d'investissement, le client peut invoquer un manquement au devoir de mise en garde lié à l'octroi du crédit s'il apparaît comme non averti pour ce type d'opération.
La jurisprudence considère généralement comme "non averti" l'emprunteur non professionnel de la finance qui se voit proposer d'emprunter pour investir dans un placement défiscalisé ou un investissement immobilier dont il ne mesure pas le risque (Cass. com., 18 mai 2005, JurisData n° 2005-028445).
D. L'indivisibilité des montages financiers
Un aspect fondamental du contentieux concerne l'indivisibilité des opérations. Plutôt que d'apprécier chaque opération isolément, les juridictions considèrent parfois l'opération dans sa globalité.
Pour qu'il y ait montage ou ensemble contractuel, l'indivisibilité entre les différentes opérations doit être établie. Elle peut résulter de la concomitance des opérations, de l'identité des parties ou de leur commune intention (CA Paris, 10 oct. 2013, JurisData n° 2013-022292).
De l'indivisibilité, il faut déduire que l'annulation de l'un des contrats entraîne la disparition de l'autre, comme l'a récemment jugé la Cour de cassation (1re civ., 1er oct. 2014).
III. Le contentieux des prêts toxiques et ses solutions
A. Les moyens juridiques pour contester les prêts toxiques
Plusieurs voies juridiques ont été explorées pour contester les prêts toxiques:
- Validité de la clause d'indexation: Les articles L. 112-1 et suivants du Code monétaire et financier posent des limitations à la liberté des parties en matière d'indexation. La jurisprudence est partagée sur la licéité des clauses d'indexation sur des monnaies étrangères.
- Annulation pour vices du consentement: Certaines collectivités ont sollicité des annulations pour violence, dol ou erreur, arguant que la banque les aurait trompées sur le caractère spéculatif du produit.
- Non-respect de la réglementation relative au TEG: Le tribunal de grande instance de Nanterre, dans ses décisions du 8 février 2013 et du 7 mars 2014, a retenu la responsabilité des banques pour défaut de mention du TEG sur les documents contractuels.
- Manquement au devoir de mise en garde ou d'information: Le TGI de Paris (28 janvier 2014) a condamné une banque pour ne pas avoir informé son client sur la valorisation des swaps au moment de leur conclusion.
B. Les solutions législatives apportées
Pour éviter un coût potentiel énorme pour les finances publiques (estimé à 17 milliards d'euros), le législateur est intervenu à plusieurs reprises:
- Création d'un fonds de soutien: L'article 92-1 de la loi de finances pour 2014, précisé par le décret n° 2014-444 du 29 avril 2014, a créé un fonds de soutien de 100 millions d'euros par an pendant une durée maximale de quinze ans.
- Validation rétroactive des prêts: La loi n° 2014-844 du 29 juillet 2014 a validé rétroactivement certains prêts dont la validité était contestée pour défaut de mention du TEG. Cette loi a été validée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 24 juillet 2014.
C. L'encadrement des prêts futurs
Pour prévenir de nouvelles difficultés, plusieurs mesures ont été prises:
- Recommandation de l'ACPR: L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a publié une recommandation (n° 2012-R-01) sur les bonnes pratiques à suivre concernant les prêts en devise.
- Restrictions légales: L'article L. 1611-3-1 du Code général des collectivités territoriales, précisé par le décret n° 2014-984 du 28 août 2014, encadre strictement les emprunts que peuvent souscrire les collectivités locales.
- Protection des emprunteurs particuliers: L'article L. 312-3-1 du Code de la consommation encadre la stipulation de crédits immobiliers libellés en monnaie étrangère pour les particuliers.
Le contentieux des montages financiers complexes révèle l'importance d'une analyse juridique approfondie avant de s'engager. Si vous êtes concerné par un prêt structuré ou un montage financier qui s'est révélé préjudiciable, une analyse de votre dossier par un avocat spécialisé peut vous permettre d'identifier les manquements éventuels de votre établissement financier et d'envisager les actions possibles. N'attendez pas l'échéance du prêt pour agir - les délais de prescription peuvent compromettre vos droits.
Sources
- Code des assurances, articles L. 112-2, L. 132-5, L. 132-27, L. 132-27-1
- Code monétaire et financier, articles L. 533-12, L. 533-13
- Cour de cassation, chambre commerciale, 12 juillet 2011, n° 10-17.830
- Cour de cassation, 2e chambre civile, 27 mars 2014, n° 13-16.672
- TGI Nanterre, 8 février 2013 et 7 mars 2014
- Loi n° 2014-844 du 29 juillet 2014
- Recommandation ACPR n° 2012-R-01 du 6 avril 2012
- Article L. 1611-3-1 du Code général des collectivités territoriales
- Décret n° 2014-984 du 28 août 2014
- Article L. 312-3-1 du Code de la consommation